Darkness Retreat ou la rencontre du tout dans le néant

Parce que le silence ne doit pas être un concept dont on parle, mais bien une expérience que l’on vit, après quelques hésitations, j’ai décidé de partager avec vous l’expérience la plus incroyable de ma vie dont je sors tout juste : une Darkness Retreat.

Puisqu’il n’existe pas d’école pour devenir fondatrice d’un mouvement comme Silence, alors je me dis que l’expérimentation des différentes pratiques qui existent dans cette veine, c’est un peu mon rôle. Des ashrams aux traversées du désert, des méditations dans la neige ou dans une grotte reclus, des temples bouddhistes à la retraite de 10 jours Vipassana. Ces explorations me nourrissent et permettent à Silence d’accomplir sa mission, faire vivre à chacun des expériences authentiques de connexion à soi, aux autres et à plus grand que soi, grâce au silence et à la nature.

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‘Si l’histoire de la Terre était une journée de 24 h, les humains seraient apparus à 23 h 58 min et 26 s’

Cette phrase de Yann Arthus Bertrand me bouleverse et exprime ce que j’ai ressenti ces dernières semaines : un grand vertige, puisque tout va trop vite.

Je suis rentrée en France au printemps, après un long périple autour du travail chamanique. Le retour fut brutal, j’étais un peu désenchantée par la complexité de la période, essoufflée par tant d’incertitudes et l’inapte à mener à bien ma mission, qui consiste à créer des expériences collectives en silence.

Traversée de questions existentielles en torrent. Que fait l’humain fait à la Terre ? Exploitation, production, consommation, digitalisation à outrance et sans conscience, en détruisant la nature, en provoquant l’extinction d’espèces animales à grande vitesse ! Pourquoi ? Et pour laisser quoi aux générations futures ? Où sont l’amour et la conscience dans cela ? Et moi où je me situe dans tout cela ?

Ces dernières semaines, mon tempérament optimiste a été mis à mal par ces tourments, laissant la place à un sentiment d’impuissance et de culpabilité. J’ai éprouvé un grand besoin de retrouver mes repères, de prendre un temps d’introspection, une bouffée d’air.

Mi-avril, je me suis lancée en toute humilité, dans cette expérience qui m’intriguait depuis un petit moment : la Darkness Retreat, 6 jours seule dans le noir total. Cela vous semble certainement fou, mais j’ai laissé mon instinct me guider, j’étais prête à ce plongeon dans le vide, confiante qu’il pouvait renverser ma perspective.

L’origine de la pratique
Le Tao dit: ‘Lorsque vous entrez dans l'obscurité et que cela devient total, l'obscurité se transforme bientôt en lumière.’ (Mantak Chia)

Méditer dans le noir est une pratique avancée qui fait partie des anciennes traditions ayurvédiques et tantriques de l’Inde et du Tibet. C’est une pratique d’éveil dans laquelle le guru ou l’enseignant se trouve être l’obscurité même. Le méditant passe un certain nombre de jours dans le noir complet afin de susciter des états de conscience profonds. Comme les trous noirs absorbent d'énormes quantités de matière, de la même manière, dans le domaine psychologique, l'obscurité peut absorber nos pensée limitantes limitantes et nos résidus psychiques.

Traditionnellement, les retraites sombres étaient pratiquées par les lignées Dzogchen du bouddhisme tibétain et la période variait de quelques heures à plusieurs décennies. Les anciens Egyptiens et les Mayas pratiquaient également une forme de retraite sombre, qui durait traditionnellement 10 jours.

En Inde, les retraites dans l'obscurité sont généralement appelées retraites Kaya Kalpa . Le terme kaya signifie «corps» et kalpa signifie «sans âge» ou «immortel». Kaya Kalpa est un traitement ayurvédique pour rajeunir le corps et l’esprit, appelant à l'isolement dans l'obscurité, à la méditation et à l'application de diverses préparations à base de plantes. 

Enfin, chez les yogis, le fluide de la vie éternelle, le soma , est associé à l'énergie de la lune, une énergie vitale essentielle qui charge l'être humain pendant la nuit. Le jour est le symbole de tous les dualismes et du domaine d'action personnel, de l'énergie dispersante, tandis que la nuit est le symbole de l'éternité, de la contemplation, de la régénération et de la centration.

Mon expérience
Ce voyage au plus profond de moi-même a été dur, intense et merveilleux à la fois. Puisque la rencontre avec le vide est, elle aussi, une expérience qui se vit et qui est unique pour tout un chacun, j’ai presque envie de dire qu’il m’est impossible de la décrire. Je vous partage à cœur ouvert ce qu’il en ressort pour ma part.

J’ai tenu les 6 jours que je m’étais fixé, ce qui n’était pas gagné, il est fréquent que l’expérience soit trop abrupte et la durée prévue soit écourtée par le méditant. C’était assez troublant de voir combien le sommeil, le transit et l’appétit sont chamboulés par la perte de signal jour/ nuit, envoyé au cerveau par la lumière. Comme le temps de dilate dans le noir, et les pupilles aussi !

J’ai découvert un univers parallèle, je ne me suis jamais sentie aussi libre, je sais ça peut paraître étrange, enfermée seule dans cette pièce obscure pendant 150 heures, mais jamais de ma vie je n’avais été en tête à tête avec moi-même, extraite du bruit, détachée de tout impératif, contrainte ou horaire, sans regard de qui que ce soit, sans conditionnement.

De très profondes méditations, sans savoir combien de temps elles duraient, la pratique du Yoga et du breathwork ont été salvateurs, j’ai atteint des états proche de la transe. J’en profite pour préciser que cette expérience est ouverte uniquement aux méditants avec une pratique solide. Je suis passée par tous les états, la gratitude, la peur, l’extase, la torpeur. J’ai rencontré mon enfant intérieur, j’ai connecté à l’essence pure de moi-même. Je pense que mon rapport au temps et à la patience sont transformés à tout jamais.

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Le dernier jour, j’en pleurais de joie, je n’aurais jamais cru que craquer une allumette pouvait être aussi phénoménal. J’étais tout simplement émerveillée par ce qui m’entourait, les couleurs, la lumière (au début ça brulait presque les yeux), je suis longtemps restée ébahie devant la bougie, puis j’ai découvert que le fait d’ouvrir une fenêtre pouvait provoquer un orgasme !

Nous avions la possibilité d’écrire un mot au personnel du centre, pour rester en silence si besoin, le matin du 7ème jour, j’ai demandé à être réveillée avant le lever du soleil. Je suis sortie dans la campagne auvergnate vallonée, en extase totale devant les arbres, les fleurs et les chevaux. Bienvenue sur cette planète l’extraterrestre…heureusement à 6h il n’y avait personne pour voir ma tête ahurie. J’ai grimpé une colline pour méditer sur les chants d’oiseaux et sous le ciel rose, pieds nus dans la rosée de l’herbe. J’étais plus sereine que jamais, pleine de vie et de gratitude.

Voilà 5 jours que je suis sortie de l’obscurité, je me sens très apaisée, j’ai un sentiment de clarté intellectuelle, de nettoyage de ce qui m’encombrait. C’est comme une renaissance : j’ai fait la rencontre d’une jeune femme de 31 ans, que je ne connaissais pas encore, elle s’appelle Jeanne et elle est amoureuse de la vie.

Je tiens à remercier du fond du cœur Emma, l’ange en charge du centre, Jonathan Lehmann, coéquipier de rêve qui m’a généreusement soutenu avant, pendant, après, et Lise Bourbeau dont les écrits ont guidé ce voyage bienfaisant.

Amour de la vie.


“Quand tes yeux sont fatigués
Le monde est fatigué aussi.

Quand ta vision est partie
nulle part du monde ne peut te trouver.

C'est l'heure d'aller dans le noir
où la nuit a des yeux
pour reconnaître les siens.

Là, tu peux être sûr
que tu n'es pas hors la portée de l'amour...

Parfois il faut le noir et la douce
détention de ta solitude
pour apprendre

que n'importe quelle chose ou n'importe quelle personne
qui ne te met pas en vie

est trop petite pour toi.”

Traduit de David Whyte, extrait de "Sweet Darkness"