Ma meilleure amie

L’amitié a toujours été un mystère pour moi. Je crois avoir trouvé une certaine aisance dans d’autres rôles : être Maman, être l’Amoureuse, être l'Entrepreneuse passionnée, être la Fille. Tout ça, ça flow mieux. Mais être l’Amie… c’est une autre histoire.

Je ne pensais pas un jour être capable de déballer ce secret aussi facilement, mais il faut croire que la quête d’authenticité et l’acceptation de soi que je mène depuis des années font bouger les choses. Ça reste tout de même sensible, donc s'il vous plaît, pas trop de jugement avant d’avoir lu.

L’amitié, donc. Une histoire qui a toujours été compliquée, au point que je me suis parfois dit : "L’amitié, ce n’est pas pour moi." Cette impression était assez dormante ces dernières années, mais elle vient de refaire surface avec une clarté nouvelle.

Je viens de passer une semaine dans les Alpes italiennes, dans un silence que je connais bien et qui, pourtant, m’a offert une redécouverte inattendue. Ce temps avec moi, en nature et en silence, m’a permis de mieux dézoomer sur ma vie, d’amener de la conscience et de mieux comprendre ce qui s’y joue.

Alors que je participais à une retraite de yoga et de méditation "classique", la vie m’a fait un cadeau. Dès le premier jour, nous pouvions choisir de porter un badge "en silence", aussi longtemps que nous le souhaitions. J’ai sauté sur l’occasion. Après six années à faciliter le silence pour les autres, cette fois, c’était mon tour de m’y plonger. Sans devoir le guider, l’expliquer, sans autre intention que d’y être.

C’était mon tour de sentir à quel point suspendre les mots apaise, et ouvre un espace sacré et infini.

Je pourrais vous parler encore et encore des mille bienfaits du silence que j’ai ré-explorés et ressentis dans chacune de mes cellules… mais si vous me suivez un peu, vous les avez déjà lus en long, en large et en travers. Hihihi. Ce n’est pas le sujet de cette lettre.

Ce qui m’a frappée, c’est autre chose.

J’ai ressenti un immense soulagement à pouvoir être dans ma bulle, à ne pas avoir à entrer dans l’exercice du lien avec les autres. Pas par dédain ou désintérêt, mais par inconfort profond.

Et comme le badge était optionnel, seule une poignée d’entre nous avaient choisi le silence. Depuis mon retrait, j’ai observé. J’ai vu à quel point, pour certains, c’était fluide : faire connaissance, être ensemble, s’entendre. Ça m’a renvoyée à cette gêne qui a toujours été là, cette impression d’être un animal sauvage quand il s’agit de sociabiliser.

La professeure de yoga était l’incarnation de l’amie que je n’ai jamais eue : une femme drôle, présente, fine d’esprit, généreuse, avec de bons goûts musicaux. Elle était là, sous mes yeux, me rappelant combien cela avait toujours été difficile pour moi.

Le dernier matin de la retraite, j’ai pleuré. Pleuré comme si je pleurais pour toutes les petites Jeanne.

Je me suis revue dans la cour de récré, toute petite, comme si je m’excusais d’exister, à essayer de relate, et à ne jamais réussir à être naturelle. À me sentir différente. À être seule et gênée face aux autres, qui, eux, semblaient tous être copains.

J’ai pleuré pour la Jeanne qui a ensuite plongé dans l’euphorie de la nuit. Là où la musique va toujours plus fort pour ne pas avoir à s’écouter, où l’on prône qu’il vaut mieux "s’amuser et pas se prendre la tête" que de parler vrai. Celle qui, pendant une dizaine d’années, a cru qu’elle savait enfin être l’Amie, alors qu’elle était juste la Dernière-sur-le-dancefloor, avec sa horde de gens si cools, ivresse aidant. Sauf que tout ça s’est arrêté d’un coup. Et tout le monde a disparu.

Bref, ce matin-là, tout est devenu clair. Une phrase m’est venue : "Être ma propre meilleure amie."

J’ai réalisé que je n’avais pas toujours été douce envers moi-même, et que les nombreuses expériences spirituelles que j’avais accumulées comportaient toujours un aspect éprouvant, parfois même un peu masochiste : ashrams austères, Vipassana, darkness retreat, jeûnes, cérémonies chamaniques où-c’est-si-dur-que-tu-crois-que-tu-vas-mourir.

Mais ici, dans cette retraite, il y avait une saveur nouvelle. Pour la première fois, à 35 ans, je vivais une expérience douce, sans contrainte, sans performance ni objectif difficile à atteindre.

J’ai compris que c’était une première étape vers l’amitié avec moi-même : apprendre à me choisir, me respecter, cultiver les relations, les activités et les lieux qui me nourrissent et rendent ma vie plus belle. Ne plus attendre de validation extérieure.

Peut-être que l’amitié n’est pas tant une question de bonnes rencontres ou de "savoir-faire", mais plutôt la capacité à habiter pleinement son propre espace avant de pouvoir y inviter quelqu’un d’autre.

Je nous souhaite des amitiés vraies.

PS : et désolée si je vous ai mis Lorie dans la tête, je me la suis mise à moi-même avec ce titre.